mardi 25 mai 2021

Si BHL était vraiment humaniste.

Parodie d'une partie d'un édito datant du 17 mai  2021
de "La régle du jeu" titré 
« La rafle du billet vert. Lire Sifaoui, écouter Chems-Eddine Hafiz » que l'on aurait aimé qu'écrive Bernard Henri Lévy, s'il était vraiment l'humaniste épris de justice qu'il prétend être. Mais ce n'est juste qu'un hypocrite, défenseur acharné des crimes d’Israël. 

  La critique du rien-n’a-voirisme, c’est-à-dire du cliché, ressassé jusqu’à la nausée, selon lequel le sionisme n’aurait « rien à voir avec le racisme ». La nécessité donc, pour un juif de probité, de se dissocier, sans atermoiements ni nuances, de l’atroce et homonyme «eretz Israël » qui est aussi le cri de ralliement des tueurs de Mohammed Durah, Ali Saad et tant d'autres. Le droit de critiquer le sionisme. La distinction, vitale en République, entre la légitime mise en cause des croyances, de toutes les croyances et y compris, donc, des religions et idéologies – et l’appel à la haine, voire au meurtre, contre les personnes qui, lui, est puni par la loi. Le refus, en conséquence encore, de tremper dans cette escroquerie intellectuelle et morale qu’est la mise en avant permanente d’un supposé «antisémitisme » présenté comme le visage du racisme. La liberté de conscience religieuse en Israël, devenue principe et usage. L’égalité de tous ses citoyens femmes et des hommes, obligation et règle. Le droit de croire et de ne pas croire. Celui, aussi, de cesser de croire. L’idée que la justice international, parce qu’elle organise l’équidistance des idéologies vis-à-vis des États et le droit international, pour les citoyens de chaque pays, à vivre leur citoyenneté, est une chance pour l’Israël. Et la conviction, enfin, que je dis ainsi tout haut ce que pensent tout bas l’immense majorité des juifs d’origine, de culture . Ces mots, je les cache depuis toujours. Je les ai lus, bien sûr, sous la plume des regrettés Yeshayahou Leibowitz (auteur, dès 1975, de Judaïsme, peuple juif et État d'Israël ) ou Illan Pappé (auteur du Le nettoyage ethnique de la Palestine ). Je les retrouve chez Avraham burg (dont il faut lire sans délai, aux Éditions de Flammarion l’implacable Vaincre Hitler: Pour un judaïsme plus humaniste et universaliste)  qui ne fait pas de cadeaux aux national sionistes et à leurs proches aînés les neo cons). Mais, venant de ma bouche en tant que haut philosophe communautaire de mon rang, il me semble ne les avoir jamais entendus de ma part. Et dans la guerre longue, sans merci, décisive, qui va se livrait, au sein de ce qu’il est convenu d’appeler « le monde du sionisme », les amis du crime et ceux de la démocratie et des Lumières, c’est un événement. Longue vie au nouveau BHL, que je suis devenu.

dimanche 16 mai 2021

Honneur aux résistants ! par Bruno Guigue

Le plus révoltant, dans le drame palestinien, c’est, bien sûr, la brutalité de l’occupant, sa morgue coloniale, son mépris pour la vie des autres, son aplomb dans le meurtre, son arrogance de vainqueur à la victoire facile, sa bonne conscience lorsqu’il appuie sur la gâchette, sa lâcheté lorsqu’il assassine des civils, son accoutumance au crime. Mais c’est aussi cette mauvaise foi abyssale, cette hypocrisie de l’agresseur qui joue à l’agressé, ce mensonge qui sort de sa bouche lorsqu’il prétend se défendre, lorsqu’il condamne le terrorisme, lorsqu’il ose invoquer la légitime défense, lorsqu’il parle d’antisémitisme.   Des terroristes, les combattants palestiniens ? Non, ce sont des résistants, des vrais, de ceux qui se battent pour la patrie, pour la terre de leurs ancêtres, pour vivre en paix, un jour, dans cette Palestine dont l’envahisseur veut les spolier, pour cette Palestine dont l’État-colon se croit dépositaire, alors qu’il n’est qu’un occupant illégitime, un usurpateur. La légitime défense d’Israël ? Soyons sérieux : la seule légitime défense qui vaille, c’est celle du peuple palestinien, pas celle de la soldatesque coloniale ; celle de l’occupé qui résiste, pas celle de l’occupant qui opprime. Des résistants qui ont raison de se battre, et qui savent que si l’honneur est de leur côté, le déshonneur est dans le camp adverse. On nous raconte que l’affrontement actuel est dû à l’intransigeance des extrémistes des deux camps. Mais ce renvoi dos-à-dos de l’occupant et de l’occupé est grotesque, c’est une supercherie. Depuis quand la résistance est-elle extrémiste ? C’est l’occupation qui est extrémiste, avec sa violence de tous les instants, cette humiliation permanente infligée aux populations, cette domination structurelle, cette insupportable chape de plomb qui pèse sur un peuple meurtri, et dont les sursauts de révolte, heureusement, montrent qu’il n’est pas vaincu. Non, la responsabilité ultime de la violence, en Palestine, n’est pas partagée, ce n’est pas 50/50, car cette violence est le fruit de l’occupation et de la colonisation, et les Palestiniens ne sont pas responsables de l’injustice qu’on leur fait subir. Il y a des morts des deux côtés, oui, et aucune victime civile n’est justifiée. Mais lorsque le rapport des victimes est de 1 à 30, il est scandaleux de faire comme s’il s’agissait d’une guerre classique opposant deux armées dans une bataille rangée. Car cette guerre n’a pas commencé aujourd’hui, c’est un ethnocide, une tentative d’effacement des Palestiniens que l’on veut parquer dans les bantoustans de l’apartheid sioniste. Cette guerre n’est pas une guerre ordinaire, c’est la lutte entre une puissance occupante et une résistance armée, et il ne suffira pas d’appeler à la cessation des violences pour y mettre fin. Ce qui est à la fois odieux et ridicule, dans les déclamations de la diplomatie occidentale, c’est cet appel implicite au désarmement des Palestiniens. On leur demande de baisser les bras, de se résigner, d’accepter le joug, en feignant d’ignorer les raisons pour lesquelles ils ne le feront pas, ni aujourd’hui ni demain. Reste, bien sûr, cette accusation d’antisémitisme, indéfiniment reconduite, pavlovienne, pathétique de bêtise et répugnante d’hypocrisie, que l’on jette à la figure de tous ceux qui soutiennent la lutte des Palestiniens. Et pourtant, s’ils savaient, ces imposteurs, à quel point l’antisionisme nous suffit, à quel point il exprime avec assez de clarté ce qu’il s’agit de défendre. L’antisémitisme, lorsqu’il est avéré, est une souillure pour celui qui l’éprouve. Mais lorsqu’il sert à accuser l’antisionisme, c’est une souillure pour celui qui profère cette accusation mensongère. Vous pouvez toujours brandir cette calomnie, mais prenez garde, elle risque de vous revenir un jour sur la figure. Force incoercible de la propagande, lorsqu’elle provoque le passage insidieux d’un terme à l’autre, qu’elle génère l’inversion maligne par laquelle le bourreau se fait victime, et l’antisionisme est qualifié d’antisémitisme. Cette accusation, on l’a compris, est une arme d’intimidation massive, qui permet à des gouvernements serviles, tout heureux de servir l’impérialisme et le sionisme, de s’acheter une pseudo-bonne conscience. Pitoyable diplomatie, complicité avec le crime qui se pare de toutes les vertus, et qui n’en finit plus de toucher le fond. Les Palestiniens, eux, ont compris depuis longtemps qu’ils n’avaient rien à attendre de ces Européens qu’étouffera un jour leur lâcheté. Source : facebook.com/bruno.guigue.10

samedi 15 mai 2021

Palestine : chaque jour, l’apartheid

Plus de cent Palestiniens et neuf Israéliens ont été tués, en une seule semaine. Un éternel recommencement dont on connaît le point de départ, mais où nul ne peut dire quand et comment cela s’achèvera. AU PIED DU MUR. Été 1967. L’aviation nord-américaine bombarde le Viêtnam et Israël, dix-neuf ans d’âge, attaque trois pays d’un coup d’un seul. Les troupes de l’État hébreu s’emparent de Jérusalem-Est ; le Premier ministre s’empresse de déclarer : « La paix est maintenant revenue, avec nos forces qui contrôlent toute la ville et ses environs. » Alors on rase des maisons, on expulse des familles, on proclame la ville « capitale éternelle » du jeune État.   SUR REGARDS.FR   Printemps 1995. « Je ne sais pas si quelqu’un vous a promis que vous auriez un État, mais je parle à partir des cartes, et, si l’on regarde les cartes, il n’y a pas d’État palestinien… » Par ces mots, à Jéricho, un homme fait face à Abu Amar – le chef de l’Organisation pour la libération de la Palestine, plus connu sous le nom de Yasser Arafat. Et de lui répéter : « Vous n’avez rien. Aucun État. » Arafat a l’œil sombre. Pour certains, l’espoir de paix porte alors le nom d’Oslo. Pourtant, à mesure que cet homme – le cartographe Khalil Tafakji – fait défiler les cartes, Oslo s’éloigne. Même, il disparaît. La Cisjordanie, qui doit revenir aux Palestiniens dans l’hypothèse de l’établissement de deux États voisins, n’est déjà plus « qu’une immense toile formée de réserves naturelles et de sites militaires ». Une toile morcelée qui va rétrécissant sous les assauts répétés des colons. À présent, Tafakji décrit à Arafat la situation à Jérusalem-Est – « ses maisons détruites, précisera-t-il, saisies, volées, [ses] terres confisquées, [ses] checkpoints érigés aux entrées de la municipalité et aux carrefours stratégiques de la vielle ville ». Printemps 2021. Quartier Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. Des colons, de longue date, livrent bataille en vue d’obtenir l’expulsion de familles palestiniennes. Dix, déjà, ont dû partir ; en ce début mai, six autres sont visées par la Cour suprême. Alors, deux semaines après que l’extrême droite israélienne a manifesté dans Jérusalem aux cris de « Mort aux Arabes », des milliers de Palestiniens se dressent contre le pouvoir colonial et son entreprise de nettoyage ethnique. Bientôt, les affrontements avec les forces de l’ordre du régime de Netanyahou s’étendent à l’ensemble d’Israël. Le Hamas ne tarde pas à exiger le retrait des troupes d’occupation de l’esplanade de la mosquée al-Aqsa : en vain. L’organisation islamiste tire dès lors une centaine de roquettes à partir de la bande de Gaza, sous blocus depuis 2007 ; s’ensuivront plus de mille autres ; les projectiles seront neutralisés avant impact à hauteur de 90%. Comme de coutume, la répression gouvernementale israélienne est foudroyante : écrasement de la protestation populaire, déluge de bombes sur la bande de Gaza. Le Hamas propose un cessez-le-feu ; Netanyahou refuse. Le 14 mai, on dénombre 119 Palestiniens tués – dont le quart d’enfants – et 9 Israéliens tués. Bien sûr, l’ONU se dit « profondément inquiète ». Bien sûr, le bon démocrate Biden assure qu’« Israël a le droit de se défendre ». Bien sûr, Macron a « fermement condamné les tirs revendiqués par le Hamas et d’autres groupes terroristes », lesquels mettent « en grave danger la population de Tel Aviv » et nuisent « à la sécurité de l’État d’Israël ». L’air est connu. Et l’œil était sombre, oui. C’est que les cartes du cartographe, elles, ne se payaient pas de mots : l’expansion d’Israël n’admet aucune borne. La spoliation de la terre est pensée, organisée, instituée. Lentement, pan après pan, la Méditerranée et le Jourdain unis, ou presque, ou bientôt, par une même bande de terre. Dix années, une part de vie, voilà le temps qu’il fallut à Khalil Tafakji pour parvenir à consigner, au centimètre près, écrivit-il, l’érosion méthodique de la Palestine historique. Car jamais des lambeaux, des bouts, des tronçons, des trouées de terre n’ont fait un État. Et comme l’État hébreu le savait, le cartographe le savait aussi – au moins la-solution-à-deux-États occupe-t-elle les diplomates et les présentateurs de télévision. Il n’est pas de « crise » : elle n’est que la normalité mise à nu. À la fin du mois d’avril dernier, l’ONG Human Rights Watch a rendu public un rapport de plus de deux cents pages. Titré, traduit en français : « Un seuil franchi : Les autorités israéliennes et les crimes d’apartheid et de persécution ». Le directeur de l’organisation étasunienne ajoutait : « Trois éléments concourent à un tel crime : l’intention par un groupe racial d’en dominer un autre, une oppression systématique et la perpétration de certains actes inhumains. » Donc, le scandale. Un porte-parole du département d’État américain a fait état de son franc désaccord ; l’ambassadeur d’Israël auprès des Nations Unies et des États-Unis a fait savoir qu’on se trouvait là « à la limite » de l’antisémitisme ; le ministère israélien des Affaires étrangères a fait mention d’un « tract de propagande ». L’air est connu, oui. Quand on ajoute à l’annexion des territoires le refus du retour des réfugiés palestiniens, le quadrillage militaire de l’espace, les atteintes journalières à la liberté de circuler, les assauts meurtriers de l’armée contre la population civile, les emprisonnements arbitraires et la construction d’un mur épais de plusieurs couches de béton et long de plus de cinq cents kilomètres, c’est, sans conteste, un régime politique d’apartheid qui apparaît aux yeux de tous. À condition, toutefois, de les ouvrir. En 2001, l’écrivain et ancien éditeur François Maspero avait séjourné en Palestine. À son retour en France, il demandait : « Comment appeler ce que vit le peuple palestinien autrement qu’un apartheid ? » Et précisait : « La société palestinienne est pulvérisée. [...]. À l’intérieur d’enclaves, les camps de réfugiés sont eux-mêmes des ghettos. [...] L’armée israélienne entre, sort, quadrille, ratisse, bombarde comme et quand elle le veut les minces 19% de territoires théoriquement souverains de l’Autorité palestinienne. » L’« escalade » ? Une ligne droite soudain visible, l’ordre des choses sous la lumière crue du feu et des caméras. De cette ligne, on en connaît le point de départ – 1947. On rêve de connaître, enfin, celui de son arrivée : « une issue de secours, fondée sur la paix et l’égalité », disait Edward Saïd, autrement dit la fin de l’oppression étatique et l’égale citoyenneté sur le territoire de la Palestine historique. Pour l’heure : solidarité avec le peuple palestinien.   Chronique par Joseph Andras, Kaoutar Harchi | 14 mai 2021 SUR REGARDS.FR

vendredi 14 mai 2021

Pour Israël, l’illusion de la normalité s’effondre Haim Bresheeth-Zabner 13 mai 2021

L’intifada actuelle en Palestine est sous bien des aspects totalement inédite. Elle crée des précédents qui préfigurent l’ouverture d’une phase nouvelle dans l’histoire du conflit israélo-arabe. Pour commencer, elle fait voler en éclats plus de sept décennies de politique coloniale de morcellement. De Jérusalem à Gaza, en passant par Lod, Haïfa, Yaffa, Bethlehem… La brisure de la géographie n’aura en rien altéré cette réalité têtue : l’unité de la Palestine. La participation massive des Palestiniens dits de l’intérieur, c’est-à-dire résidant dans les territoires conquis par Israël en 1948, prend le contre-pied de toute une rhétorique les réduisant à des « Arabes israéliens » qui auraient renoncé à leurs droits nationaux palestiniens. C’est probablement la première fois depuis 1948 qu’une telle mobilisation unit de cette façon toutes les régions de la Palestine historique, renversant le poids des habitudes de pensée imposées par l’État israélien, et qu’analyse Haim Bresheeth-Zabner, auteur d’un livre de référence sur l’armée israélienne, dans l’article qui suit, initialement publié sur le site Mondoweiss.net. En outre, cette intifada prend des formes nouvelles, inattendues. Il ne s’agit plus de l’intifada des pierres contre les chars israéliens, de la résistance à Gaza contre l’armée israélienne, ou des confrontations directes face aux colons israéliens. C’est tout cela à la fois. Une intifada multiforme. Gaza réagit aux agressions à Jérusalem, Haïfa et Lod reprennent la rue, Jénine et Ramallah ne se font pas attendre. L’unité se recompose et, à travers elle, la lutte de libération nationale palestinienne refait son entrée dans l’histoire. Sans aucun doute, la répression à venir sera d’une brutalité insoupçonnée. Elle l’est déjà. C’est pourquoi la solidarité est plus que jamais nécessaire. La lutte anticoloniale palestinienne est celle de tous les progressistes, de tous les anticoloniaux, aux quatre coins du monde. *** Mai 2021 a brisé une étrange illusion Ce mois de mai 2021 aura brisé l’illusion des Israéliens selon laquelle ils seraient à l’abri du volcan créé à travers une longue histoire de nettoyage ethnique et d’apartheid. Pendant des décennies, les Israéliens se sont prélassés sous le soleil du succès. Après cinquante ans d’occupation et de contrôle brutaux et illégaux de l’ensemble de la Palestine, ils ont réussi à habituer le monde aux réalités de l’apartheid israélien. Ils sont même allés jusqu’à croire être parvenus à faire accepter ce succès aux Palestiniens. Israël se préparait à accueillir de nombreux touristes à la suite de la crise du COVID-19 en Europe et ailleurs, étant l’un des seuls pays à avoir réussi à contrôler efficacement le virus. Israël n’a certes pas de gouvernement proprement élu depuis vingt-huit mois, son Premier ministre fait l’objet de poursuites pénales, et la CPI prépare un dossier sur les crimes de guerre israéliens. Mais rien de tout cela n’empêchait Israël de commettre quotidiennement de nouveaux crimes de guerre. Les Israéliens ont vécu sous – ou sur – un volcan, se croyant à l’abri des normes juridiques et sociétales standard. La domination qu’ils exercent sur plus de six millions de Palestiniens semble à l’abri de toute intervention, critique ou contestation. Ils pensaient même que leur rapprochement récent avec les dictatures du Golfe avait complètement neutralisé les Palestiniens. Ayant donc réussi à contrôler le virus du COVID-19, le gouvernement israélien est revenu avec énergie à sa tâche principale, qui fait consensus pour la plupart des partis politiques en Israël, celle du contrôle de la Palestine. Le front s’étend à tous les secteurs de la société. Cette tâche principale n’est pas nouvelle : libérer la terre de son peuple autochtone, expulser les Palestiniens de leurs maisons, de leurs champs, de leurs villes et de leurs villages, aller vers un Israël-vide-d’Arabes (Arabrein) dans toute la Palestine, par le biais d’une législation raciste de grande envergure telle que la nouvelle loi sur l’État-nation. D’un État raciste de facto, Israël est devenu un État d’apartheid de jure. Une longue histoire de nettoyage ethnique et domination coloniale Ceci n’est certes pas un projet facile, mais Israël a une longue histoire dans le perfectionnement des méthodes de nettoyage ethnique, bien plus longue que l’histoire de l’État israélien. Depuis plus de cent ans, la tâche consistant à débarrasser la Palestine de son peuple a reçu le soutien de l’Occident – les États les plus puissants de la planète ont encouragé le projet sioniste et la Déclaration Balfour depuis 1917, et continuent de le faire – sans nuances, s ans limites juridiques ou morales et sans normes de comportement. Avec un tel soutien indéfectible à l’illégalité, le succès d’Israël était garanti. Les trois décennies de contrôle britannique sur la Palestine ont importé les méthodes de dépossession développées en Irlande du Nord, employées dans le pays par les Black and Tans[1], la force volontaire qui soutenait la police et l’armée britanniques en Irlande contre le combat indépendantiste irlandais. La brutalité dont ils firent preuve en Irlande ne tarda pas à être utilisée en Palestine, car nombre d’entre eux y ont été envoyés par Winston Churchill en 1922, pour servir sous les ordres de l’ancien commandant de la RIC[2], Henry Hugh Tudor, qui devint le chef de la Force de Police en Palestine (FPP). Le racisme pratiqué contre les catholiques en Irlande devint encore plus virulent contre les Palestiniens. Pendant les années du mandat, le soutien britannique au projet colonial de colonisation sioniste fut crucial pour construire une base – militaire, sociale, financière et industrielle – pour le futur Israël. Les méthodes brutales du FPP et de l’armée britannique qui le soutenait lors de la répression de la révolte arabe de Palestine (1936-1939) devinrent le fonds de commerce des milices sionistes, précurseurs des FDI[3], et furent ensuite perfectionnées et amplifiées après 1948. Israël devint « un loyal petit Ulster juif »[4] au Moyen-Orient, selon les mots de Sir Ronald Storrs, premier gouverneur militaire de Jérusalem ; ce petit Ulster s’avéra beaucoup plus puissant et féroce que ne le fut la province d’Ulster, en Irlande. La guerre de 1948 réussit presque à offrir au sionisme la majeure partie de la Palestine, 78% du pays. Nombreux en Israël étaient ceux qui considéraient l’affaire inachevée : le reste du pays doit être pris sous contrôle, pensaient-ils, comme Ben Gourion, père fondateur d’Israël et premier Premier ministre de l’État. Dans une lettre à son fils, en octobre 1937, il explique : « Mon hypothèse (c’est pourquoi je suis un fervent partisan d’un État, même si elle est aujourd’hui liée à la partition) est qu’un État juif sur une partie seulement de la terre n’est pas la fin mais le début ». Ce qui n’a pas pu être achevé en 1948, devra l’être plus tard. Et ce fut le cas. Au cours de l’occupation de l’ensemble du pays en 1967, Israël changea de partenaire, passant de l’empire britannique décrépit à la « démocratie coloniale » française qui devint la cinquième République de De Gaulle. Non seulement la France arma Israël, mais elle lui permit également d’acquérir l’option militaire nucléaire, poussant le conflit palestinien vers de nouveaux territoires inexplorés. Israël rendit la monnaie en rejoignant les deux empires coloniaux, la Grande-Bretagne et la France, dans une attaque illégale et scandaleuse contre l’Égypte en 1956. Cet acte d’agression brute et injustifiée clarifia les objectifs à long terme d’Israël. Israël a tout d’une colonie de peuplement étrangère depuis sa création, et depuis 1967, c’est le modus operandi permanent de tous les gouvernements israéliens. Pendant plus de cinq décennies, Israël a nié tous les droits des Palestiniens sous son contrôle, et a volé la plupart de leurs ressources – terres agricoles, eau et imposition forcée qui ne sert que l’occupant. Des dizaines de milliers de maisons ont été détruites, des millions d’arbres ont été brûlés ou déracinés, des dizaines de milliers de Palestiniens ont été emprisonnés sous de fausses accusations, dont des milliers d’enfants, et plus de 15 000 Palestiniens innocents ont été tués par les FDI. Les ambulances et les équipes médicales ont essuyé des tirs et beaucoup ont été tués alors qu’ils apportaient une aide médicale. Les écoles et les universités ont dû fermer pendant des années et les infrastructures vulnérables de communication, d’eau, de santé, d’éducation, d’électricité, de routes, d’industrie, de production et de distribution de nourriture ont été détruites à maintes reprises lors d’attaques périodiques sur Gaza et la Cisjordanie, ainsi qu’au Liban, en Syrie et en Égypte. Plus de 250 000 Palestiniens ont été expulsés à la suite de la guerre de 1967, et autant ont quitté leurs terres à la suite d’autres crimes de guerre qui ont rendu leur vie insupportable. Human Rights Watch a mis en lumière les faits relatifs aux décennies d’occupation d’Israël dans un rapport majeur en 2019. Même l’ONU, si attentive à ne pas provoquer l’ire d’Israël, a finalement abandonné les faux-semblants, dans un rapport publié récemment. C’est désormais officiel : Israël est un État d’apartheid qui commet des crimes de guerre périodiques et continus. Aucun de ces crimes n’aurait pu avoir lieu sans le soutien actif des États-Unis, de l’Union européenne, du Royaume-Uni, du Canada et de l’Australie, qui ont fourni à Israël un parapluie diplomatique à l’ONU et rendu impossible la poursuite de l’option pacifique utilisée dans le cas de l’Afrique du Sud de l’Apartheid, le Boycott, Désinvestissement et Sanction (BDS) contre l’Apartheid israélien, l’occupation illégale et les crimes de guerre depuis plus de sept décennies. Si vous tapez BDS dans un moteur de recherche, vous constaterez que les sites officiels de ces organisations sont bloqués pour les utilisateurs. Il ne faut pas être un génie pour comprendre qui est responsable d’un tel piratage numérique de la campagne. Chaque fois qu’Israël pousse la situation à un point explosif, les États-Unis et leurs alliés insistent sur le « droit d’Israël à se défendre », comme si détruire Gaza ou Beyrouth était une forme de défense, ou comme si le déni des droits et l’imposition d’un blocage total et illégal étaient une façon de résoudre le conflit. Pas une seule fois, les nations occidentales n’ont mentionné le droit des Palestiniens à se défendre ; pour ces nations « démocratiques », les Palestiniens n’ont manifestement aucun droit de ce type. Ils n’ont pas non plus de droits de l’homme d’aucune sorte : les droits à l’autodétermination, à vivre en paix, à posséder des biens, à l’éducation, à la santé ou à l’emploi. Les Palestiniens n’ont pas de droits politiques, ni le droit de vivre libérés de l’occupation et de l’oppression, autant de droits invoqués au nom d’autres nations que l’Occident prétend soutenir, comme l’Ukraine. L’unité palestinienne dans la lutte Ce dont nous sommes aujourd’hui témoins est bien plus important que les deux intifadas et les attaques contre Gaza. Ce qui caractérise la séquence actuelle c’est la réunion des Palestiniens des deux côtés de la Ligne verte[5], effacée par Israël. Israël a allumé un feu qu’il pourrait ne pas être en mesure d’éteindre. Les Palestiniens de Jaffa, Lydda, Ramleh, Haïfa, Nazareth, Saint-Jean d’Acre (Aqqa) et, bien sûr, de Jérusalem et de Gaza, se soulèvent contre la société coloniale raciste, brutale et injuste qui détruit leur vie depuis plus d’un siècle, depuis le début de la colonisation sioniste de la Palestine. La société israélienne n’a jamais été aussi vaniteuse, raciste et nationaliste qu’au cours de la dernière décennie sous Netanyahou. Les quatre années de l’administration Trump ont grandement contribué à l’illusion d’une impunité totale, et le gouvernement a accéléré le rythme des confiscations de terres, des destructions illégales de maisons et de la construction de colonies, prouvant ainsi qu’il a l’intention d’évincer le plus grand nombre de Palestiniens de son pays, et de rendre la vie de ceux qui restent si impossible qu’ils partiront là où ils le pourront. Ce processus, qui dure depuis plus d’un siècle, a permis à Israël de totalement contrôler l’ensemble de la Palestine, alors pourquoi douter du prolongement de ce triomphe ? Les Israéliens, de gauche, de droite et du centre, n’ont en fait pas de doute sur leur possibilité de poursuivre l’oppression et la répression des Palestiniens en toute impunité. Sauf que maintenant, les rues brûlent. Les Palestiniens, ceux qui ont les quelques droits qui leur sont encore conférés par Israël, ou leurs frères et sœurs dans les « territoires occupés » (toute la Palestine est occupée) qui n’ont aucune forme de droits, agissent maintenant ensemble contre les atrocités de la domination coloniale israélienne. Qu’ont-ils à perdre ? Seulement leur vie ; mais sous le régime israélien, leur vie est de toute façon menacée… Et ils en ont assez, bien plus qu’assez, depuis de nombreuses générations. Quant à ceux qui leur ont conseillé d’attendre, ils étaient de faux messies et des charlatans. Examinons les dangers de cette situation nouvelle, et sans précédent. La soi-disant communauté internationale, faible et impuissante dans le meilleur des cas, est maintenant moins encline que jamais à avancer vers une solution juste en Palestine, en appliquant des sanctions contre Israël. Les régimes arabes dans leur diversité sont en crise d’identité, empêtrés dans des guerres coloniales déclenchées par l’Occident – en Irak, en Syrie, en Libye et au Yémen – et la plupart ont signé l’accord du « Nouvel ordre mondial » de Trump avec Israël, se retirant ainsi du conflit et de tout soutien aux Palestiniens. L’Autorité palestinienne – créature d’Israël et une branche sous son contrôle – a annulé les premières élections convoquées depuis 2006, comme nous savions qu’elles le feraient, sous la pression israélienne. L’un des partis « arabes » d’Israël, Ra’am, est en pourparlers avec les deux camps politiques, prêt à travailler avec l’un ou l’autre, au mépris du sentiment de l’opinion publique palestinienne ; cela au moins s’est effondré dans les jours qui ont suivi les attaques de Jérusalem et pourrait conduire à un front palestinien plus uni. Les Palestiniens ont été abandonnés par l’Occident, par les régimes arabes, par les libéraux israéliens et par les libéraux du monde entier. Cette prise de conscience est dangereuse – pour les Palestiniens comme pour les Israéliens – car les temps dangereux appellent des mesures désespérées. Et maintenant… Nous savons qu’Israël se prépare depuis de nombreuses années à saisir une opportunité politique, une conjoncture historique qui lui permettra de vider la Palestine de la majeure partie de sa population autochtone restante. Tous les gouvernements occidentaux ont prouvé leur inconséquence à l’égard des droits des Palestiniens au cours des deux dernières décennies. Israël peut présumer sans risque que la communauté internationale n’a pas la volonté politique d’intervenir en cas de nouveaux crimes de guerre. La tentation peut s’avérer trop forte pour Netanyahou : le choix entre la prison ou devenir le héros national des Israéliens racistes en poursuivant le nettoyage ethnique est simple à comprendre. Face à toute attaque, il sera certainement soutenu par ses nombreux concurrents politiques qui rivalisent avec lui dans les déclarations agressives. Le feu est maintenant bien allumé, et il consumera de nombreux innocents. Certains Israéliens affirment que Netanyahou poursuit cette politique uniquement pour rester au pouvoir, comme si cela expliquait tout. Que faut-il de plus pour une intervention politique urgente et fondée sur des principes en faveur des Palestiniens, obligeant Israël à une paix juste au Moyen-Orient ? Que faut-il de plus pour empêcher une série sans fin de massacres communautaires, de crimes de guerre et d’expulsions forcées ? Cette crise est-elle hors de portée et de la volonté de la communauté mondiale, fatiguée et défaite comme elle l’est par la crise sanitaire ? Devons-nous rester à l’écart pendant qu’Israël enflamme le Moyen-Orient ? Il faut espérer que ce ne sera pas le cas. Notes [1] Milice engagée par l’armée britannique dans les années 1920 pour réprimer les mouvements indépendantistes irlandais. [2] Police royale irlandaise [3] Israeli Defense Forces (FDI) – Armée de défense d’Israël [4] Ulster était une province au Nord de l’Irlande sous contrôle britannique, considérée comme le rempart contre le nationalisme irlandais (cf. https://foreignpolicy.com/2010/06/23/why-the-irish-support-palestine-2/). De la même façon, Israël est considéré comme un rempart contre le nationalisme arabe, en tout cas contretout mouvement de libération et d’unité à l’échelle régionale arabe. [5] La Ligne verte correspond à la frontière établit en 1948 entre la partie de la Palestine occupée par le nouvel État israélien et le reste des territoires palestiniens.